SOUS-UTILISATION DU DOMAINE .HT ET LA NECESSITE D'UNE PRISE DE CONSCIENCE NUMERIQUE

 

C’est avec un double sentiment de satisfaction et d’inquiétudes qu’aujourd’hui nous nous présentons par devant vous, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs, au nom du Réseau de Développement Durable d’Haïti (RDDH)  pour parler du domaine .ht, la présence d’Haïti sur le web, bref, pour parler de notre identité numérique. 

Après plusieurs années d’efforts consentis, se réunir dans le cadre d’une foire E2TECH pour discuter  technologies devient presqu’une habitude. Il y a de quoi à s’en réjouir. Cependant parallèlement à cette manifestation d’intérêt grandissant pour les TIC (Technologie de l'Information et de la Communication), nous constatons un manque d’intérêt pour le moins inquiétant de la communauté des internautes quant à l’enregistrement, l’utilisation d’un nom de domaine .ht. 

Survol historique 

En mars 1997, deux acteurs non étatiques le RERHED et ACN reçoivent , après démarches, l’agrément de l’ IANA (Internet Assigned Numbers Authority) pour  gérer le domaine .ht. Sept jours plus tard, cette délégation, sur demande des autorités haïtiennes, lui est  retirée pour être  confiée à une autre entité: FOCUSDATA S.A 

Cette décision des pouvoirs de l’Etat qui devrait être le premier pas important  vers le positionnement d’Haïti sur la toile, n’était autre qu’un sacré faux pas. Le  nouveau bénéficiaire par son inaction semblait être incapable ou manquait de volonté pour  rendre opérationnelle le Cctld ht, une période de stagnation pour le domaine .ht, ponctuée de négociations, d’intrigues et de revirement. Mais en dépit de tout, les milieux intéressés  s’affairaient encore à trouver la bonne formule, à la fois transparente et  consensuelle pour   porter l’IANA à revenir sur sa décision avec bien sûr l’aval de l’Etat haïtien.

Entretemps, l’idée de la mise en place d’un consortium composé d’organismes de l’Etat et d’autres acteurs non étatiques, faisait son petit bonhomme de chemin. Mais sur le point de signer un protocole d’accord en mai 1997, certains secteurs font défection, ce qui aura comme conséquence le prolongement du statu quo.

En 1998, grâce au lancement d’un projet du PNUD, l’idée de consortium reprend vie, elle  aboutira un peu plus tard à la naissance du Réseau de Développement Durable d’Haïti (RDDH). 

Fruit d’un consensus, le RDDH et la Faculté des Sciences (FDS) reçoivent le vote de confiance de tous les protagonistes et se positionnent pour assurer l’administration et la responsabilité technique du .ht. 

Tout n’était pas cependant acquis, il fallait  la bénédiction des structures concernées de l’Etat ; ce qui n’a pas été facile à trouver. La formule RDDH/FDS reçoit enfin l’approbation tacite du Ministère des Travaux Publics pendant l’année 2000.  Et le désistement formel de FOCUSDATA  S.A en octobre 2001 viendra sauter le dernier verrou qui faisait obstacle tant soit peu à tout effort de conclusion d’une entente finale. 

Ainsi, le 11 janvier 2002, un accord tripartite Ministère Travaux Publics/RDDH/FDS a été paraphé avec un ouf ! de soulagement.

Pourtant, la saga n’était pas à sa fin et le bout du tunnel n’était pas encore visible. Ce n’est que deux années plus tard, soit le 9 janvier 2004 que l’ICANN accepte enfin d’approuver la nouvelle délégation au consortium RDDH/FDS. Et c’est cette dernière entité qui assure la gestion du domaine ht jusqu’à date.

Evolution du domaine .ht

Pendant les trois premiers mois de gestion  du consortium et de la mise en œuvre du .ht, un certain engouement a été constaté.  Mais les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Seulement 1200 noms de domaine, la grande majorité inactive, ont été enregistrés entre  2004 et 2008, soit une moyenne de 300/an.

A cette époque certains  facteurs contribuant à la lente appropriation du .ht ont été identifiés. Sans la prétention d’être exhaustif, 7 raisons ont pu être décelées:

  1. Le coût moins compétitif du nom de domaine .HT
  2. La faible production de contenus réellement haïtiens
  3. L’absence de campagne de vulgarisation 
  4. La pénurie de centre de formations spécialisées 
  5. Le manque de prestataires agréés 
  6. Les contraintes techniques et financières de la vente en ligne du domaine .HT 
  7. Le manque d’intérêt des secteurs concernés.

Le RDDH dans le cadre de sa mission et dans sa sphère d’action tentait et tente encore de changer les paradigmes.

A titre d’intervention, le coût d’un domaine .ht est passé de USD 75.00 dollars américains à USD 50.00. Un sixième sommet .HT avait été organisé le 17 et 18 mai 2008 à l’Université Quisqueya. Il visait entre autres à  vulgariser le .ht et à encourager le développement de contenus typiquement haïtiens. Le manque de synergie entre les entités membres du consortium fait qu’une stratégie de vulgarisation systématique à long terme n’est  pas  mise en place. 

Le RDDH quant à lui, ne cesse point d’encourager les initiatives de formation spécialisée. Il  est de bon ton de mentionner que le nombre de prestataires nationaux et internationaux a augmenté substantiellement.

En 2010, le RDDH a opéré un processus d’externalisation de ses prestations de services, par l’entremise de Cocca.  Cette sous-traitance numérique permet aujourd’hui non seulement l’accès en ligne de l’espace client par nos prestataires, la disponibilité permanente du produit, mais aussi, elle garantit une gestion beaucoup  plus transparente  des ressources générées. Elle ouvre la voie aussi aux prestataires désireux d’offrir leur service en ligne. En effet, depuis 2010, web@laminute  a été le premier prestataire national à mettre en place une plateforme permettant l’enregistrement en ligne et en temps réel des noms de domaines.

Malgré toutes ces avancées, l’on doit encore se demander aujourd’hui pourquoi le domaine .ht est-il sous-utilisé par notre communauté? L’absence d’une prise de conscience numérique n’est-elle pas, à cet égard, une pierre d’achoppement pour le développement du domaine ht?

Un diagnostic profond des facteurs endogènes et exogènes empêchant le développement soutenu du cyberspace haïtien, est le seul à même de décrypter ce manque d’intérêt manifeste dans l’utilisation du ccTLD .ht .

Dans l’attente d’une telle assise, il convient toutefois de prendre le contrepied des fausses idées reçues et démonter ce tabou persistant qui laisse croire que tout ce qui est géré par des haïtiens n’est pas fiable.

De la fiabilité du domaine .ht

Certains individus et même des institutions par méconnaissance ou par mauvaise foi véhiculent, à tort,  l’idée que  la disponibilité en permanence d’un site web hébergé sous un nom de domaine .ht n’est pas garantie.  C’est archifaux !

Le domaine ht est très fiable et la meilleure façon de vous y convaincre c’est en prenant le temps de vous raconter ce qui suit :

Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, nos deux principaux serveurs DNS ont été détruits par l’effondrement des bâtiments où ils étaient logés. Les sites web utilisant le domaine ht n’ont pas été affectés et même une interruption de service d’une seconde n’a pas été constatée.  En effet, en prévision de catastrophes naturelles et autres pannes techniques, nos techniciens ont eu la sagesse, des années auparavant,  d’installer ni un, ni deux, mais quatre serveurs DNS secondaires hébergés en France, à Montréal et aux Etats-Unis. 

Avec une telle architecture, les noms de domaine ht étaient en mesure de continuer à fonctionner normalement pendant 1296000 secondes, soit environ quinze jours. Après ce délai, si les serveurs DNS primaires (Serveurs DNS Maîtres) continueraient de ne pas répondre, les serveurs DNS secondaires (Serveurs DNS Esclaves) cesseraient eux aussi de fonctionner et entraîneraient la disparition du domaine .ht sur le web. 

Pour résoudre ce problème de délai qui commençait à courir et dans l’attente du remplacement des serveurs enfouis sous les décombres, nos partenaires internationaux dans les 48 heures suivant la catastrophe ont reconfiguré les  serveurs secondaires en serveurs primaires pour assurer une résolution de noms sans interruption. 

A noter que nos deux serveurs primaires, cinq années après, attendent encore d’être mis en marche par le bras technique du Consortium, qui, malheureusement, n’accorde pas la priorité à cette démarche.

Du coût relativement élevé du domaine ht? 

D’une part, si l’on compare les prix pratiqués par les ccTLD des Amériques, le domaine ht est parmi les extensions les moins chères. D’autre part, l’acquisition d’un domaine est tout aussi bien une question d’offre et de demande. A titre d’exemple, l’année dernière ebola.com a été vendu pour 200,000.00 dollars américains. 

Bref, quand la nécessité et l’intérêt pour un nom de domaine se conjuguent, le coût ne semble pas être le critère absolu du choix. 

Aujourd’hui un grave danger est à nos portes, la dilution de notre identité numérique. La grande majorité des sites actifs utilisant le .ht ne sont pas haïtiens. Si cette tendance continue, sous peu le .ht sera le ccTLD d’Haïti que de nom, alors qu’on aurait pu tirer des avantages en détournant ce nom par « branding ».

Le Branding est cette pratique lucrative des multinationales du web qui consiste à détourner un code pays pour  faire sa promotion comme étant un nom de domaine générique. Onze années après, doit-on se tourner vers cette possibilité, en recherchant de nouvelles vocations au .ht, en  se basant sur le modèle réussi du nom de domaine de Tuvalu .TV. 

Ce minuscule Etat de 26 km2 s'étend sur neuf îlots dans le pacifique Sud, à mi-chemin de Hawaii et de l’Australie. Une concession s’étalant sur 12 ans a été donnée à une multinationale du web, ce qui rapportait à ce pays la rondelette somme de 50 millions de dollars. Les concessionnaires et prestataires internationaux aujourd’hui commercialisent le domaine .TV comme étant une extension consacrée à la Télévision et au Multimédia. De même que Porto-Rico fait la promotion de son identifiant .PR comme « Public Relation », ciblant les entreprises de Marketing, de Publicité et de Relations Publiques. 

Calquer sur ce modèle on pourrait aisément faire passer le domaine .HT, comme extension pour  « High Tech » en anglais et « Haute Technologie » en français. Coup double sur le plan linguistique. Cette  possibilité pourra certainement  aider à la popularisation du .ht et contribuera à coup sûr à ouvrir le marché international à l’acquisition du .HT comme identifiant consacré à la Haute Technologie.  

Cette option demeure un nouveau champ à explorer en termes de stratégie de promotion du cctld haitien.

Si les acteurs de tous horizons ne prennent pas conscience de la nécessité, du devoir citoyen, d’utiliser le domaine ht, le branding sera peut-être la seule planche de salut de notre identité numérique.

Conclusion

En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que le manque d’intérêt dans l’acquisition d’un domaine ht n’est ni une question de coût élevé, encore moins une question de fiabilité, mais plutôt l’absence d’une prise de conscience citoyenne. 

Nous vous invitons, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs  à faire ce sursaut de patriotisme numérique afin de  comprendre que le domaine .ht est l’avenir d’Haïti dans le cyberespace ; bref, il est notre avenir.